Voilà les Apennins, & voicy le Caucase :
La moindre Taupinée étoit mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thetis sur la rive
Avoit laissé mainte Huitre ; & nostre Rat d’abord
Crût voir en les voyant des vaisseaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon pere estoit un pauvre sire :
Il n’osoit voyager, craintif au dernier point :
Pour moy, j’ay déja veu le maritime empire :J’ay passé les deserts, mais nous n’y bûmes point.
D’un certain magister le Rat tenoit ces choses,
Et les disoit à travers champs ;
N’estant pas de ces Rats qui les livres rongeans
Se font sçavans jusques aux dents.
Parmy tant d’Huitres toutes closes,
Une s’estoit ouverte, & bâillant au Soleil,
Par un doux Zephir rejoüie,
Humoit l’air, respiroit, estoit épanoüie,
Blanche, grasse, & d’un goust à la voir nompareil.
D’aussi loin que le Rat voit cette Huitre qui bâille,
Qu’apperçois-je ? dit-il, c’est quelque victuaille ;
Et si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd’huy bonne chere, ou jamais.
Là-dessus maistre Rat plein de belle esperance,
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs ; car l’Huitre tout d’un coup
Se referme, & voilà ce que fait l’ignorance.
Cette Fable contient plus d’un enseignement.
Nous y voyons premierement ;
Que ceux qui n’ont du monde aucune experience
Sont aux moindres objets frappez d’étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyoit prendre.
Jean de La Fontaine, Fables, Livre VIII, Édition Barbin et Thierry (1668-1694)
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