a) Une Vierge à l’Enfant atypique
Lorsqu’on a trouvé le triptyque, les deux panneaux étaient séparés et on s’est posé la question de la position de l’un par rapport à l’autre. Si la lecture se fait de gauche à droite, il était logique de placer les deux représentations par ordre chronologique, soit Jésus Enfant avant Jésus mort. Cependant des traces de charnières ont été retrouvées, dissipant les malentendus.
La représentation de la Vierge à l’Enfant est appelée par Panofsky dans Les primitifs flamands : La Vierge à la cheminée. Il s’agit d’une scène intimiste dans un intérieur qui se veut personnel par la présence de la serviette pendue au-dessus d’un tabouret sur lequel sont posées une bassine et une aiguière. La Vierge, elle, appartient à l’iconographie des « Vierge d’humilité » : elle assise sur un coussin, qu’on ne voit pas, sa figure de face mais son corps presque de profil, et tient Jésus sur ses genoux. L’image sort de cette iconographie de part l’action, presque narrative qui s’y déroule.
La représentation est foncièrement iconique. Campin introduit une action dans sa représentation. La Vierge a posé l’Enfant sur ses genoux et, de la main droite, exécute un geste ambigu que de nombreux historiens ont interprété à tord comme une correction (surtout à cause de la réaction de l’Enfant), mais qu’il faut voir comme un geste de délicatesse : elle se chauffe la main à la chaleur de l’âtre (on peut même voir que la chair est un peu rosie) avant d’emmailloter l’enfant avec le linge blanc sur lequel il est posé. Par ce geste on peut en déduire deux choses.
D’un côté purement formel, on peut dire que tous les éléments de la scène sont associés, par la répétition des lignes parallèles, des motifs qui font comme un emboîtement des motifs ; et d’un autre côté, on comprend que rien n’est placé au hasard. Le Maître de Flémalle ne remplit pas l’espace par horreur du vide, mais dans la démarche de créer une atmosphère cohérente. L’association de la bassine, de l’aiguière et de la serviette nous renseigne sur l’activité qui a précédé celle à laquelle on assiste. La cheminée est placée à notre gauche pour participer à l’idée qu’on se trouve dans une pièce assez spacieuse, idée soumise par la perspective du carrelage. Cette image est unifiée par la lumière vive qui vient de la fenêtre, adoucie par celle du foyer : « La lumière joue sur les surfaces, traverse les verres de la fenêtre, souligne la blancheur de la serviette, crée des effets miroitants sur le bassin et le versoir, anime de brillances les plis des vêtements de la Vierge » (Boespflug). C’est à Châtelet qu’on doit l’expression de « la fascination du quotidien », fascination qu’on comprend dans le souci du détail tel que le pare-feu métallique, le bronze miroitant à droite ou même la sculpture du piédroit de la cheminée représentant un étrange personnage comme à califourchon.
Pour en revenir au geste de la Vierge, il nous fait deviner tout l’amour, toute la délicatesse, dont est emprunte cette Vierge, mère de Dieu. Et c’est par cet amour pour le Fils, qu’on commence à voir le lien entre les deux panneaux.
b) La compassion du Père, une nouvelle iconographie :
La partie gauche du diptyque représente une Trinité inspirée directement de la fausse grisaille de Francfort. On y retrouve la même position du Fils, un Christ mort (d’ailleurs Panofsky appelle ce panneau La Trinité au Christ mort) qui cependant est vivant car de la main droite, il écarte la plaie de son côté ; mais c’est l’autre main, la gauche, qui écarte la plaie, geste qui donne toute sa signification au sacrifice, ses jambes sont repliées, la tête affaissée, les yeux mi-clos. Dieu le Père est aussi vêtu des habits pontificaux : il porte une tiare sur laquelle est posée une couronne « dont les infules symétriques sont brodées de perles et de pierres précieuses- semble révéler que le maître avait eu connaissance de la majestueuse image de l’Eternel qui domine le Retable de Gand » : Panofsky ne cesse de voir dans ce diptyque une influence de l’art de Van Eyck, ce qui expliquerait pour lui les nouveautés des compositions.
Le cadre général se distingue de celui de la Vierge à l’Enfant. Dieu le Père est assis sur un trône de pierre, placé sous une tente. Il semble tirer le Fils à sa droite. Et c’est ce mouvement, selon moi, qui peut nous donner une clé sur l’endroit où a lieu la scène : ce serait en fait le Ciel, le paradis. Dieu attire son Fils à sa droite comme le dit le Credo : « est monté aux cieux, est assis à la droite du Père Tout-puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts… » De plus les deux personnages semblent être, selon Boespflug, exempts des lois de l’apesanteur : il serait impossible de porter un homme de cette façon sans le lâcher. Pour renforcer cette idée d’intemporalité et de non-spatialité, la tente est un motif employé pour les iconographies du Père des Lumières (Livre des Heures de Turin), dont les pans sont soutenus par des anges; c'est aussi l'image du tabernacle, lieu de la Présence réelle dans les églises. Ici, il n’y a pas d’anges ni d’éléments surnaturels mis à part ce défi aux lois de l’apesanteur.
Le Trône de Grâce : il s’agit de la représentation verticale de la Sainte Trinité, avec le Christ les bras étendus (avec la croix ou pas). Mais le Christ n’a pas les bras étendus et le Saint-Esprit représenté sous la forme traditionnelle de la colombe n’est pas au-dessus du Père dans une verticalité formelle mais est en train de se poser sur l’épaule de Jésus. La représentation de la Trinité est en fait la naissance d’un nouveau thème iconographique qui trouve son expression la plus aboutie chez Campin : l’iconographie du Deus Majestatis selon Boespflug : Dieu est représenté en pape mais aussi couronné. Le motif de la tiare est repris par celui de la tente. Le pape est pontife sur terre, mais il est le simple vicaire de Dieu qu’on peut dire pape au ciel.
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