La traduction d'un phénomène nouveau
Il faut savoir avant tout que dans le domaine des règles sigillaires, on parle d’« habitudes mais pas de système normatif ». Les sceaux n’obéissent qu’aux influences de s modes et coutumes régionales comme on a vu précédemment.
Une notion qu’il ne faut pas oublier, c’est que le système héraldique qui se recoupe avec les sceaux à partir de la fin du Haut Moyen Age, s’est établi sans l’influence de l’Eglise contrairement à beaucoup d’autres domaines iconographiques: en effet le langage héraldique est celui de la langue vulgaire et le texte de la légende substitue rapidement le latin au français. Ce système repose sur les valeurs et les sensibilités de la chevalerie et de la noblesse.
L'héraldique a contribué à l'apparition d'un phénomène nouveau: la notion d'individu. On comprend mieux cette quête d'identité en étudiant les types du sceau qui nous dévoilent « l'univers mental et la civilisation matérielle de l'Occident médiéval ». On peut diviser les types en deux catégories: les personnes physiques et les personnes morales.
Le premier type qui s'impose est le type équestre: en costume de guerre, sur un cheval de bataille, le cavalier brandit une arme et tient un écu. C'est sur cet écu qu'on voit apparaître les premières armoiries: d'abord très simples et parfois fictives, elles s'étendent après sur la housse du cheval, sur la bannière, etc. Il s'agit d'un grand seigneur, d'un prince ou d'un noble adoubé. Mais le type équestre ne se limite pas seulement à celui dit « de guerre »: le type de chasse rassemble les seigneurs plus modestes, les femmes qui, en amazone, tiennent un faucon au poing.
Le type même des souverains est le type de majesté: il apparaît au XI° siècle, imitant au début les effigies des monnaies romaines. Le sceau est rond, le roi est représenté de face, trônant et portant les signes du pouvoir. Son image d'abord stylisée se veut de plus en plus réaliste au fil du temps: le roi cherche à se singulariser et à augmenter son prestige par les symboles que contient le champ. En effet l’image a une valeur uniquement symbolique et non réaliste comme à la fin du Moyen Age.
Il faut voir ici l'utilité du contre-sceau sur un plan juridique et iconographique: le contre-sceau est l'empreinte appliquée sur le revers du sceau à partir du XIII° siècle pour éviter toute fraude ou erreur en ajoutant une autre figuration: d'abord, le sigillant appuie son doigt dans la cire encore molle et y laisse ainsi son empreinte digitale, signification qui a encore gardé aujourd'hui toute sa signification: se singulariser et rendre sa marque (ici, son sceau) unique et individuel. Ensuite l'empreinte digitale est remplacée par une empreinte de matrice, souvent de type armorial. On voit ainsi de plus en plus des sceaux de personnes physiques et morales présenter sur leur contre-sceau leurs armoiries qui ne figuraient pas ou partiellement sur le champ de l'endroit. Les lacs ou la queue de parchemin passant entre le sceau et son contre-sceau, détacher l'un ou l'autre relève du défi car l'empreinte se casserait à coup sûr: le contre-sceau empêche donc le réemploi du sceau à des fins frauduleuses et apporte donc une garantie supplémentaires à la valeur juridique du sceau.
Le type armorial a contribué énormément à l'évolution et la stigmatisation de l'héraldique: on y voit figurés les armes dans un écu ou pas. À partir des XII° et XIII° siècles, l'écu est penché et apparaissent le cimier, les supports et autres ornements décoratifs. On peut donc suivre par la datation des sceaux une évolution assez précise de l’héraldique.
Il est utilisé par toutes les couches sociales, pour les personnes aussi bien physiques que morales. La moitié des sceaux conservés appartiennent à ce type.
L’héraldique devient individuelle et utilitaire à cette recherche de singularisation alors qu’il était aussi un phénomène de groupe : on peut le voir par les sceaux de type hagiographique : il concerne le sceau des communautés pour la plupart ecclésiastiques. Est représenté le saint patron ou bien l’évêque du diocèse, parfois celui-ci agenouillé aux pieds du saint. Il concerne aussi les prélats, dignitaires, un chapitre, parfois une ville. Parfois, une scène est représentée avec soin et précisée par des symboles comme les attributs spécifiques à une fonction. Ce type n’est pas le seul représentant le mieux les personnes morales.
Les types naval et monumental donnent une représentation symbolique ou raccourcie des personnes morales, le plus souvent pour les villes et les ports.
Cependant le type qui traduit le mieux ce phénomène de groupe est le type des métiers et des corporations : le type de fantaisie. Il regroupe tous les sceaux qui n’entrent pas dans les catégories précédentes. Y sont représentés des objets, des animaux, des plantes. L’homme au Moyen Age s’identifie à un groupe : sa ville, sa corporation, sa famille. « L’héraldique à ses débuts apparaît comme le produit de la fusion en un seul système – à la fois social et technique - de différents usages emblématiques antérieurs : tantôt individuels, tantôt familiaux, tantôt féodaux. »
Le sceau, preuve d'une société qui s'oppose aux préjugés
A partir du XII° siècle, on est certain que le sceau s’est répandu dans toutes les classes de la société. La grande erreur concernant les armoiries est de penser que son usage était réservé aux nobles et aux membres des hautes « classes sociales ». Or, il n’y a jamais eu de loi énoncée sur cette restriction, sachant qu’il n’existe aucune règle écrite de cette époque sur l’héraldique. Les principes qu’on retrouve appliqués sur les écus, les enluminures et les armoriaux sont dus au travail des hérauts d’armes, au début officiers domestiques au service d’un grand, assurant divers fonctions comme porter des messages, déclarer la guerre ou organiser des festivités. Mais ils se spécialisent à l’apparition des tournois dans la maîtrise de l’héraldique, servant de commentateurs aux spectateurs et décrivant les armoiries, ce qui contribue à l’élaboration de la langue héraldique, et précisons-le, en langue vulgaire. On peut dire alors que ce sont eux qui ont établi certaines règles qui restent évidentes comme la règle des émaux qui interdisent d’associer l’argent et l’or.
Même s’il serait déplacer pour un simple roturier d’utiliser le type de majesté ou équestre pour son sceau, il ne lui est pas interdit de le composer à sa façon. Ainsi, l’homme du Moyen Age va saisir l’opportunité de se différencier même au sein de son groupe : les « armes parlantes » en sont la preuve. Souvent du type fantaisie, le sceau fait référence au nom du sigillant, par association d’idée, jeu de mot, rébus, en utilisant des symboles, des images simples. Mais on ne peut pas faire de tous les types de fantaisie des armes parlantes : certaines figures comme l’hermine ou la fleur de lys gardent une signification très vague.
Les armoiries et par extension, le sceau, sont utilisées par les plus pauvres comme les grands, par les femmes qui se représentent en pied ou à cheval. On ne peut alors penser plus longtemps que les libertés et droits juridiques sont limités aux hommes aisés. Les gens plus aisés cherchent même à affirmer leur identité en dehors de tout groupe, même familial : il n’est pas rare de voir alors sur le sceau deux blasons différents, l’un de sa famille et l’autre de sa terre. D’autres ont les moyens de se faire deux matrices pour différencier ces deux armoiries.
La légende est aussi motrice de singularisation pour l’homme médiéval. Il s'agit de l’inscription qui entoure le champ du sceau: sa première fonction est de définir le possesseur du sceau. Tout le monde a le droit de sceller à condition de ne pas usurper l’empreinte d’un autre. On commence à lire l’inscription à partir du haut; la langue utilisée est le latin jusqu'au XII° siècle: on y poinçonnait la devise, des invocations pieuses ou des proverbes, inscrits sur la face du contre-sceau s'il y a; mais il devient plus simple d'écrire en langue vulgaire le nom et sa titulature ou sa profession, précédés d'un « S' », abrégé de SIGILLUM. Il y a un réel désir de se distinguer des autres, de sortir du groupe. On peut voir là un réel parallélisme entre le droit aux armes et le droit au nom. C’est ici la concrétisation du désir de l’homme médiéval de sortir de l’encellulement des classes et catégories sociales qui demeurent du X° au XIII° siècle avec l’affirmation de l’autorité des petits et grands seigneurs féodaux.
Commentaires
1 DELGRANGE Le 14/06/2017
Je viens de découvrir votre site et en particulier les pages "Héraldique" et "sigillographie".
Permettez-moi, à propos du nombre de matrices conservées d'apporter une petite précision, quinze mille matrices de sceaux "conservées", c'est à peu-près le nombre répertorié uniquement en France (Musées, bibliothèques publiques, archives, collections privées), c'est sans doute plus car les collectionneurs privés ne communiquent pas facilement à propos des objets qu'ils détiennent. Les ensembles détenus par les musées etc...) n'ont pas encore fait l'objet d'un inventaire suffisamment précis.
Cordialement,
D. Delgrange