Pour Megan Holmes, le tondo est une mise en avant du dogme marial du Carmel.
Fra Filippo Lippi, peintre du Carmel
Peut-on voir à travers le regard de la Vierge une demande de prise de conscience, comme si sa tête penchée était un mouvement d’invite à considérer les scènes narratives comme des arguments pour mieux prouver sa destinée divine et la conception miraculeuse du Fils de Dieu. On a envie de penser aux paroles de l’ange Gabriel : « car il n’est rien impossible à Dieu » (Luc I, 37), car se crée un parallèle entre ces femmes telles qu’Anne et Elizabeth qui conçoivent malgré leur vieillesse. La figure de sainte Anne n’est ici, toujours selon Megan Holmes, que pour mettre en avant l’ordre du Carmel. Pour elle, Filippo Lippi se sert de ses acquis au couvent pour les transposer dans ses œuvres religieuses. Il fait référence par les scènes narratives, aux couvents des Carmes situés en Terre Sainte : l’une à la Porte Dorée, l’autre au lieu-même de la naissance de la Vierge d’après la tradition, et dédiée à sainte Anne. La légende veut que sainte Anne ait porté la Vierge encore nouveau-née au Mont Carmel. N’oublions pas celui qui se trouve à Nazareth. Bref, l’ordre du Carmel est étroitement lié à la Mère de Dieu qui en est la fondatrice, la figure patronale et la protectrice. Toutes les scènes narratives représentées dans ce tondo sont des références indirectes aux couvents de Jérusalem, inscrivant l’ordre comme un héritage de la Vierge, puisque lié à elle par tous les épisodes de sa vie privée : sa conception, sa naissance et sa maternité.
Le scandale de Lippi
Vasari fait un portrait de Fra Filippo Lippi, très peu élogieux quant à sa vie privée : il est décrit comme un homme peu vertueux, dépendant des plaisirs de la chair au point de s’attirer l’hostilité du milieu ecclésiastique : « dès qu’il rencontrait une femme qui lui plaisait il était prêt à sacrifier jusqu’à son dernier sou pour la posséder, et si elle lui résistait, il cherchait, en peignant son image, à assoupir la flamme de son amour. » Sa liaison avec une future religieuse Lucrezia Buti, fille d’un riche florentin, est celle qui marqua le plus les esprits et choqua ses contemporains.
Si l’on date le tondo de 1465 à 1470, ce tableau serait postérieur à sa liaison avec Lucrezia. Les historiens de l’art disent que Filippo Lippi aurait peint sa femme à travers la Vierge, ce qui pourrait se rapporter aux dires de Vasari à propos de la peinture d’une Vierge : « il opéra si bien qu’il obtint des religieuses la permission de faire poser sa belle pour une figure de la Vierge ». On pourrait donc avoir ici affaire à un portrait de Lucrezia.
L’ambigüité présente dans le tondo est d’autant plus flagrante avec le symbole de la grenade : celle-ci représente aussi bien la fertilité que la chasteté. Selon le Cantique des Cantiques, la Bien-aimée vue comme une image de la Vierge, est « un jardin de grenadiers, avec les fruits les plus exquis », c’est sa chasteté qui est mise en valeur dans la représentation iconographique. Mais en même temps, sous l’écorce du fruit, se trouvent de multiples grains qui symbolisent la fertilité, l’abondance. Hommage à la maternité divine de Marie, mais pourquoi pas aussi celle de Lucrezia ? On revient au thème de la naissance et de la fécondité qui le touche d’autant plus qu’il connaît la paternité en 1560. Cependant il réside un problème chronologique puisqu’il n’est relevé de ses vœux et ne l’épouse qu’aux environs de 1458. Si on accepte la datation de Megan Holmes et Charles Terrasse, le tondo est antérieur à leur rencontre, car en 1452, il vient tout juste de quitter le couvent. Cette interprétation reste donc de l’ordre de l’hypothétique mais on peut encore retenir que le thème de la fécondité est celui qui domine : on revient sur la tradition du tondo commandé par la famille pour la naissance du premier enfant.
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