Quelques mots sur le genre du portrait: son sujet est toujours l’être humain. Degas voue une grande admiration pour Ingres dont on retrouve dans le tableau l’inspiration dans la composition des groupes, les portraits génois de Van Dyck, les Ménines de Velasquez. Ses séjours en Italie ont influencé son art.
Ce tableau se présente comme un portrait de groupe et pourtant il est porteur d'une histoire, d'une narration.
Degas a passé beaucoup de temps à composer cette oeuvre, y revenant des années après la dernière modification. C'est un travail qui lui a beaucoup coûté, il a même failli y renoncer à plusieurs reprises.
Histoire de la famille Bellelli
Le contexte : en 1857, Degas a peint le portrait de son grand-père Hilaire de Gas. Pendant la Révolution, il s’est réfugié à Naples. Sa fille, Laure, a épousé le baron sicilien Bellelli, banquier qui s’est exilé à Florence parce que condamné à mort après l’échec de la révolution de 1848. On apprend cette histoire douloureuse par sa correspondance avec son père et sa tante.
Allers-retours en Italie
De la même façon, on sait que sa tante s’ennuyait et lui a demandé de venir la rejoindre. Cependant en 1858, quand il arrive, elle n’est pas là car au chevet de son père Hilaire. Edgar commence alors des dessins préparatoires : il ne voulait peindre que les deux filles à l'origine. Pendant ce séjour, le baron ne lui adresse pas la parole, ce qui n'améliore pas la tension. A la demande de son père, il revient à Paris où il continue les esquisses puis revient en 1860 à Florence. Il a beaucoup de difficultés à construire ce tableau et pense même abandonner. Cependant il arrive au bout en 1867.
Une atmosphère singulière
Il n’a pas du tout apprécié l’accueil de son oncle et le représente donc ainsi : on ne le voit qu'à peine. De plus, on apprend que le couple est en désaccord, d’où la séparation des groupes. On retrouve cette tension dans la pose de Giulia : une position de déséquilibre, mains sur les hanches (qui peut exprimer l'interrogation), le regard tourné vers son père. Elle est l’élément charnière entre les deux entités. Les petites ne savent pas mais ressentent la tension conjugale. Edgar Degas a voulu exprimer dans ce portrait de groupe toute l'ambiance lourde et particulière qu'il a ressenti.
La mère en noir : son deuil est dû à plusieurs causes. La mort de son fils Giovanni ou plutôt le deuil de son père, représenté dans le cadre au niveau de sa tête. Aucun signe d'affection, de bonheur familial ne transparaît dans l'oeuvre, cependant Laure pose une main sur l'épaule de sa fille tandis que les doigts de son autre main touchent plastiquement le bras de la deuxième fillette: elle est là, mère présente et protectrice.
Le journal : le baron est enfermé dans son univers (causes politiques ?).
Ainsi quelques petits indices parsemés qui, pris dans leur ensemble, nous font mieux comprendre ce qui se passe.
Une oeuvre faite pour lui-même
On émet l’hypothèse que Degas aurait présenté son œuvre au Salon de 1867 car on sait qu’à cette date-là, il y présenta deux portraits de famille. Cependant il n’aurait jamais pu prendre le risque de faire scandale car il ne respectait pas certains critères du portrait.
- Ils ne posent pas
- Giulia est agitée
- Seule Giovanna regarde le spectateur
- Le baron : de dos, abandonné dans son fauteuil
- Sens de l’authentique
La composition de l’œuvre est témoin de l’évolution de la frontière des genres et des sous-genres - portrait de groupe et portrait de famille.
Cependant il y était très attaché car en 1870, il dut vendre ses tableaux pour rembourser les dettes de son père et pourtant garda celui-ci dans son atelier jusqu’à la fin de sa vie. (Il n’a pas cherché à le vendre, pas de commanditaire).
Il le considère comme son plus émouvant portrait de famille ; il faut ajouter que ses portraits restaient du domaine privé.
Il faut avouer que l'oeuvre n'est pas compréhensible par un public ignorant de l'histoire dramatique de la famille. Seul Edgar lui-même pouvait en comprendre et en saisir tout le sens, et peut-être sa tante aussi.
Ajouter un commentaire